📚Quand la littĂ©rature inspire des morceaux mythiques

Certains sont des poĂštes, avant d’ĂȘtre des auteurs-compositeurs-interprĂštes. D’autres sont des Ă©crivains qui auraient pu ĂȘtre de brillants paroliers. Si la distinction entre musique et littĂ©rature est parfois tĂ©nue, il ne fait nul doute que les deux disciplines ne cessent de s’inspirer mutuellement. Voici quelques exemples de chansons mythiques qui puisent leurs inspirations de la littĂ©rature. 

 

L’histoire de Melody Nelson - Serge Gainsbourg 

Parue il y a plus de cinquante ans, l’histoire de Melody Nelson figure aujourd’hui parmi les disques cultes de Serge Gainsbourg. Il s’agit-lĂ  du premier album concept de l’artiste, construit comme un rĂ©cit autour du personnage fĂ©minin de Melody Nelson. DĂ©crit par la presse comme le “premier vrai poĂšme symphonique de l'Ăąge pop”, cet album, qui inspira de nombreux artistes (Air, Lenny Kravitz, Portishead, Beck, Sean Lennon...), s’inspire lui-mĂȘme du fameux Lolita de Vladimir Nabokov. Du livre, Gainsbourg dira : “c’est un poĂšme que je voulais mettre en musique parce que je trouvais que c’était tellement moderne par sa forme.” 

Fun fact : Ă  sa sortie, l’échec commercial du disque est cuisant. Ce dernier finit tout de mĂȘme par devenir disque d’or, au bout d’une douzaine d’annĂ©es. 

Martin Eden - Nekfeu

PubliĂ© en 1909, Martin Eden de Jack London est l’histoire de Martin, un jeune marin d’origine ouvriĂšre souhaitant amĂ©liorer sa condition, pour gagner le coeur d’une femme. GrĂące Ă  un travail acharnĂ© de plusieurs mois, le hĂ©ros parvient Ă  rĂ©duire le gouffre qui le sĂ©pare de sa bien aimĂ©e. Il se destine alors au mĂ©tier d’écrivain, mais se heurte au mĂ©pris de sa classe et des Ă©diteurs. Mais du jour au lendemain, suite Ă  la publication d’un article polĂ©mique, Martin devient cĂ©lĂšbre. Les revues qui se moquaient autrefois de ses textes se mettent alors Ă  l’encenser. DĂ©senchantĂ© par ces faux-semblants, Martin dĂ©cide de s’exiler et finit par se donner la mort. 

Dans sa chanson Martin Eden, le rappeur Nekfeu Ă©tablit une analogie entre le hĂ©ros dĂ©sabusĂ© et lui, en disant “Plus je monte et plus je m'identifie Ă  Martin Eden”. Une idĂ©e qu’on comprend aisĂ©ment car, dans plusieurs de ses chansons, Nekfeu fait rĂ©fĂ©rence aux personnes et labels qui n’ont pas cru en lui Ă  ses dĂ©buts, en dĂ©nonçant notamment l’hypocrisie dont certains ont fait preuve Ă  son Ă©gard depuis son succĂšs. 

Bob Dylan et la Beat Generation

De tous les auteurs de gĂ©nie qui ont marquĂ© les sixties (Lennon, Bowie
), Bob Dylan reste, de loin, le plus littĂ©raire. Voire mĂȘme, disons-le, le poĂšte le plus illustre. Et pour cause, Dylan puise son inspiration dans les oeuvres de Rimbaud, mais aussi des auteurs de la Beat Generation - un mouvement littĂ©raire amĂ©ricain nĂ© dans les 50’s, dont fait partie Jack Kerouac.  

Selon le musicologue Claude-Marin Herbert, "Kerouac a jouĂ© le rĂŽle de dĂ©tonateur dans la carriĂšre de Dylan, notamment le livre "Les Clochards CĂ©lestes". On peut d’ailleurs retrouver dans les textes de Dylan des pratiques d’écriture propres au mouvement beat (logorrhĂ©es, chorus jazz, surrĂ©alisme
). Quant aux thĂšmes des chansons, ils rappellent les sujets Ă©voquĂ©s par les Ă©crivains beats : politique, sexe, drogues
 L’une des chansons les plus Ă©vocatrices : Desolution Row. 

La Porte Bonheur - Oxmo Puccino et Ibrahim Maalouf 

Alice au pays des merveilles, de Lewis Carol, est connu pour avoir stimulĂ© l’imagination de nombreux artistes. Serge Gainsbourg dans Variations sur Marilou, The Beatles et I Am the Walrus
 Et, surtout, Oxmo Puccino et Ibrahim Maalouf ! Les deux artistes, aux univers rĂ©solument diffĂ©rents, livrent une relecture Ă  la fois jazzy et poĂ©tique du cĂ©lĂšbre roman, avec leur album concept Au pays d’Alice, sorti en 2014. Leur objectif : se rĂ©approprier Ă  leur façon les 12 chapitres du cĂ©lĂšbre livre pour raconter une nouvelle version des "Aventures d'Alice au pays des merveilles", Ă  travers le prisme du XXIᔉ siĂšcle. 

2+2=5 - Radiohead

2+2=5, un titre Ă©nigmatique, un poil illogique ? Il s’agit surtout d’un clin d’oeil subtil Ă  l’incontournable roman 1984 de George Orwell. Dans ce roman, le monde est divisĂ© en trois Ă©tats autoritaires (OcĂ©ania, Estasia et Eurasia), rĂ©gis par le mensonge et la violence. 

Dans cet univers dystopique, on réécrit l’Histoire allĂ©grement pour mieux vĂ©hiculer les idĂ©es du Parti Unique. Le roman s’achĂšve par la dĂ©molition de l’humanitĂ© du hĂ©ros Winston Smith, qui, dĂ©pourvu de toute libertĂ© de pensĂ©e, affirme que 2 et 2 font 5. 

2+2=5 n’est pas le seul morceau de Radiohead Ă  faire allusion Ă  1984. Dans l’hymne lĂ©gendaire Karma Police, cette Karma Police fait Ă©galement rĂ©fĂ©rence Ă  la Police de la PensĂ©e rĂ©gnant sur OcĂ©ania. L’objectif, pour Radiohead ? DĂ©noncer la surveillance de masse qui sĂ©vit Ă  l’Ère du Big Brother.

Black Cyrano de Bergerac (interlude) - Oxmo Puccino

« C'est un roc ! 
 c'est un pic ! 
 c'est un cap ! Que dis-je, c'est un cap ? 
 C'est une pĂ©ninsule ! ». Comment oublier cette cĂ©lĂšbre rĂ©plique, tirĂ©e de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand ?

Replaçons la scĂšne dans son contexte. Nous sommes Ă  l’acte I (scĂšne IV). Cyrano de Bergerac est provoquĂ© par le vicomte de Valvert, qui se moque de son nez, d’une bien plate maniĂšre. DotĂ© d’un grand sens de l’autodĂ©rision et d’un talent oratoire certain, Cyrano se lance alors dans une tirade mythique, soulignant par vingt exemples diffĂ©rents comment on pourrait se moquer de son nez, en usant d’un peu plus d’esprit. À l’issue de la tirade, le vicomte de Valvert est ridiculisĂ©. Manquant de rĂ©partie, il ne trouve Ă  rĂ©torquer que de lĂąches insultes Ă  Cyrano. Le hĂ©ros vient alors de triompher face Ă  son adversaire, non pas en maniant l’épĂ©e (un rĂ©flexe, Ă  l’époque), mais en maniant le verbe. 

Cette joute verbale incarne, selon Oxmo Puccino lui-mĂȘme, l’essence du rap. Car au théùtre, comme pour les rappeurs, il s’agit de mettre sa voix et sa performance scĂ©nique au service d’un texte. Et c’est justement par les mots que Cyrano triomphe face Ă  la violence et l’ignorance. 

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